Extrait

Promenons-nous dans  la ville haute.

 

     Comme presque partout, y compris de nos jours, c’est le quartier des nantis. Belles constructions aux larges proportions érigées en brique de terre crue et pans de bois, torchis et clayonnages, surmontés de charpentes recouvertes de chaume ou de bardeaux. Peintures et fresques murales, mosaïques en tapis de sol soulignent la notoriété. Au centre du quadrilatère que délimitent les corps de bâtiments, la vasque d’une fontaine entourée de fleurs. Des bancs de pierre autour du patio. De jolis coussins en soie comme il s’en vend sous les portiques. Pas de piscine puisqu’il y a les thermes.

 

Ecartez-vous … Laissons passer ces petits cochons noirs  et suivons-les.

     Le gamin qui les surveille les fait entrer dans une cour de la ville basse où sont posées des balles de foin autour d’une table au ras du sol. La maison est simple. Là ne vivent pas des bourgeois mais des gens du peuple. C’est bientôt  l’heure du repas … Les enfants jouent au palet dans la cour en terre battue. Ils attendent  l’heure du repas .

 

Sentez-vous ce délicieux fumet ? On en a l’eau à la bouche ! Quelle odeur…

 

     Dans une marmite en terre, posée sur un foyer de briques noircies, mijote un civet de chien et d’oignons arrosés de vinaigre, qu’accompagneront sans doute des fèves ou des lentilles. Dans la jarre, posée près de la table, il y a de la cervoise1 tandis que, dans la demeure bourgeoise précédente, plusieurs de ces poteries contenaient du vin et de l’hydromel2.
Les Gallo-romains utilisent beaucoup de poteries (vernissées ou non) comme ustensiles indispensables à la maison, lampes à huile pour l’éclairage mais aussi et surtout jarres destinées à la conservation et au transport des denrées alimentaires que sont céréales, huile, vin. Les potiers ne sont jamais au chômage et s’installent naturellement près des gisements de terres qui leur sont nécessaires. Sur le sommet du Mons Leukotecius, non loin du forum, on dénombre plusieurs ateliers très actifs dont les fours ont été retrouvés. L’un d’eux se trouve au 254 du faubourg Saint Jacques, juste derrière nous. D’autres sont enfouis sous le Panthéon actuel. Quant aux puits d’extraction, ils ont  donné bien des soucis à Soufflot, l’architecte de l’église Sainte-Geneviève lorsque Louis XV lui en demanda la construction.

 

     Si l’on nous convie à entrer dans n’importe quelle maison, nous découvrirons, posé bien en évidence, l’incontournable laraire. Le temple miniature des dieux du foyer dont nous avons parlé précédemment avec les parisii.

 

     Qu’ils soient aisés ou non, les lutéciens aiment les combats et les pièces de théâtre. Ils se rendent tout près d’ici, aux arènes dont nous pouvons voir les vestiges de plusieurs gradins au n° 32 de la rue Monge. La reconstitution vous donne une idée de la taille du monument qui était judicieusement orienté de telle façon que le soleil n’aveugle pas les spectateurs des pièces de théâtre. Les Romains pensent à tout ! 

     Les arènes sont construites vers 200. Elles accueillent jusqu’à 15.000 spectateurs qui attendent avec impatience la sortie des bêtes enfermées dans des cages de chaque côté de l’amphithéâtre. A l’annonce de l’invasion des Barbares, les habitants terrorisés les détruisent pour bâtir le mur d’enceinte de l’île de la Cité. L’espace-loisirs anéanti devient un cimetière qui est remblayé sous Philippe Auguste au 12è s. Les arènes, ainsi qu’un égout gallo-romain dont les eaux usées s’écoulaient vers la Bièvre, sont redécouverts lors du percement de la rue Monge par Haussmann en 1869 mais, après de multiples tergiversations, elles ne sont aménagées dans l’état actuel qu’en 1918.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        
     Comme tous les hommes sur terre, le lutécien vit et meurt. Et lorsqu’il meurt, il est enterré selon la coutume romaine en dehors de la ville. Par mesure d’hygiène, oui. Mais pas seulement. Les tombes disposées dans ce qu’on appelle le fief  des tombes, le long des routes d’accès à la cité, sont immédiatement protégées par les familles qui accourent tout naturellement quand un danger est annoncé. Ainsi, les habitants protègent leurs morts et du même coup sont postés à l’avant-garde.

 

Défense citoyenne ! Voilà qui est bien pensé !

 

     La vie s’écoule à Lutèce. Intéressante et agréable pendant environ trois siècles. Durant ces trois siècles de présence romaine qui améliore considérablement les mœurs du parisii celto gaulois, une nouvelle religion est née, très loin d’ici. Elle se répand lentement grâce aux dires de voyageurs qui achètent et vendent leurs marchandises en parcourant des milliers de kilomètres.

 

 

Pages 33 à 37 du Guide du Paris Mythique des origines.

 

 

1. Bière traditionnelle à partir d’orge malté et aromatisée de sept plantes et d’un peu de miel.

2. Boisson faite d’eau et de miel.