« … Les quatre méharis s’ébranlent lentement afin de permettre à l’étrangère d’entrer dans le rythme. … Si Salah veille. … Ils sont maintenant côte à côte lorsqu’un cri sauvage retentit. Les deux bêtes ralentissent tandis que d’une célérité fulgurante le Tamacheq se saisit des rênes de Julie et, avant même qu’elle n’ait eu le temps de réaliser, elle est assise devant lui, encadrée de ses deux bras. Son burnous blanc lové tout contre l’homme bleu n’est plus que le cœur battant d’une fleur indigo aux pétales en folie.
Soudés l’un à l’autre, ils s’adonnent avec fougue à la démence d’un galop infernal. Prisonnière consentante de son double, elle s’offre à l’extase de l’instant exceptionnel qui l’emporte là où tout est possible. Elle en accepte la chute sans se demander le moins du monde si c’est la dimension du sentiment ou celle de l’homme qui requiert l’absolu.
Le Tamacheq est impassible. Ses mâchoires sont crispées dans une attente … L’harmattan crible la peau de clous invisibles comme des claques destinées à faire crépiter un reste de lucidité, si tant est que ce soit encore possible.
Si Salah remonte un pan du burnous devant le visage de la toubab et le maintient serré d’une main possessive dont la lourde pression se fait éloquente. Julie se blottit au fond de l’anfractuosité de l’homme qui prend soin d’elle … la sauvage et grandiose beauté qui les tient, l’insolite de la situation, tout cela n’est-il pas excitation et acceptation d’un désir indomptable de se dépasser soi-même, de s’élancer vers l’ultime pour se confondre avec le fatal ?
Dès l’instant où Si Salah l’a fixée sur la piste d’atterrissage ... elle a pressenti que cela arriverait. Elle a toujours su qu’il la possèderait. Son regard était la ponctuation anticipée d’une promesse. Elle n’est pas moins consciente qu’en tant que Touareg il a besoin de se surpasser, lui qui ne connaît qu’errance et incertitude, lui qui évolue dans la mouvance et l’insaisissable. Il va s’affirmer. La posséder, elle, l’hérétique, la chrétienne, la femme étrangère, la femme libre, celle qui sait beaucoup venant d’ailleurs et n’est plus rien ici. Ils se possèdent l’un et l’autre en esprit et se possèderont aussi longtemps qu’il le voudra. Lui. Leur appartenance est un élément commun de leurs destins réciproques face à une destinée …
… Si Salah et ses chameliers font leur cinquième prière du jour et se reposent roulés en boule dans leurs grands burnous.
… endormis à même le sol, les hommes n’entendent pas un piétinement léger dans le moelleux du sable profond. Une forme frêle les a suivis tant bien que mal. Dès l’apaisement du vent, elle s’est orientée et ses sens exacerbés l’ont fait trottiner sans peine sur le bon chemin. Elle a examiné les empreintes de soles et reconnu celles du chameau de son mari dont la fourchette du sabot est particulièrement longue. Son âne a témoigné d’une rare complicité, ne manifestant pour une fois aucune humeur récalcitrante. La chance est avec elle. Sa détermination aussi. Aatma se coule comme un reptile près de la couche où dort Julie dissimulée par la … Aatma écoute la respiration profonde et régulière. Elle épie un frémissement de la peau, évalue le plaisir qu’ils ... Ses traits altérés sont un livre ouvert, calligraphié de la violence, de la haine et de la sauvagerie de sa jalousie.
Aatma a peu de moyens à sa disposition.
… Le marabout ? Elle n’a aucune confiance dans le poison qu’il aurait pu rater. Le mauvais œil ? Ce qu’elle a déjà glissé sous la couche de la nanzara s’est révélé inefficace. Il lui faut donc agir seule. Tout de suite. Alors, elle retire son talisman, pousse le réticule à une extrémité de la lanière en cuir, enroule trois fois ses deux index le plus loin possible de façon à avoir une prise solide, fixe le visage de sa rivale avec une détestation monstrueuse et, d’un geste précautionneux mais irréductible, avec une lenteur réfléchie et sans l’once d’une hésitation, elle glisse le cordon sous la tête prenant grand soin de ne pas tirer de cheveux, cerne délicatement le cou de son arme dont elle fait un tortillon noué de toute la rage de sa vengeance.
La jeune touarègue serre. Elle serre très vite. Elle serre très fort. Elle serre si fort que ses doigts blanchissent vidés de sang
… Julie n’a pas eu le temps de réagir tant la rapidité du geste a d’un coup tranché net le corps du cerveau. Sans transition, elle est passée du sommeil au coma. Sa bouche s’est ouverte mais aucun murmure n’a glissé sur les lèvres cyanosées. Animée d’un sang-froid diabolique, la meurtrière y enfourne une poignée de sable, puis une autre et encore une autre ...
Impassible et cynique, Aatma fixe le regard vert déjà glauque qui s’est révulsé empreint d’une interrogation inutile. L’impitoyable agonie achève une aventure dont les pressentiments avaient leur raison d’être. Aatma reprend son talisman tandis que deux larmes de satisfaction zigzaguent sur sa peau sombre se frayant un sentier torturé dans la poussière de son voyage. Les joues creusées de Julie s’effritent en grains dorés telle une rose des sables rudoyée … L’hallali a sonné. ‘’
…
Extraits de : Sortilège à Tombouctou. Manuscrit en attente d’éditeur.