… « Bartholdi, qui voyage beaucoup, a toujours été fasciné non seulement par le lion grec de Chéronée mais aussi par le Sphinx. Tout naturellement, il envisage un lion qui célèbrerait le patriotisme … une bête « harcelée, acculée et terrible dans sa fureur », une patte avant écrasant une lance brisée. »
Au Salon de la Sculpture de Paris en 1878, l’artiste qui présente la maquette de l’œuvre originale …. … « obligé d’apporter tous [mes] efforts, l’œuvre est trop importante pour ne pas avoir une influence sur l’avenir », ignore l’endroit où sera affectée la réplique du Lion. On envisage les Buttes-Chaumont. Il est finalement dédié à la place Denfert-Rochereau et inauguré le jour de la Fête Nationale du 14 Juillet 1881 …
… Le combat de 1870 est un exemple de bravoure … toutes qualités inhérentes au royal félin retenant sous sa patte l’arme brisée. Arme brisée par une lutte terrible, arme désormais inutile puisque la lutte a été couronnée de victoire … Or là, où du haut de son socle, il tourne le regard vers l’ouest parisien, ignorant l’entrée des Enfers à l’est, appelle-t-il le retour du soleil après son déclin – sa mort ? Appelle-t-il l’aube, la résurrection, renaissance et pérennité de la vie ?
A l’image de la puissance physique du Géant Isoré (locataire du lieu), elle est bien musclée la partie antérieure de son corps, témoin de sa force carnassière dévorante ! Son pouvoir vorace sur la mort qu’il inflige à ses proies engendre leur métamorphose par digestion à l’instar de la digestion symbolique d’Isoré.
… Saint Augustin assimile la gueule du lion (ainsi que celle de l’ours) à l’image du diable. Le diable n’est-il pas rabatteur des enfers - enfers que l’imagerie médiévale représente justement par la gueule d’un lion ? Enfers, flammes. … La « gueule des enfers » accueille sans compter des millions de victimes telle la gueule léonine qui dévore, boulimique, vorace, insatiable car la faim est une perpétuelle répétition quotidienne. Or le feu terrifie le lion. Oui, mais l’animal est fier.
Honteux de montrer sa peur. Là est une autre raison de détourner son regard de l’entrée de l’ossuaire. Du feu des Enfers.
Néanmoins, si le lion est invincible et puissant, il n’en est pas moins tyran tout comme la Mort et sa cruauté, que nul ne sait vaincre.
Gardien des mastabas égyptiens, le Sphinx veille jour et nuit sur l’Eternité. Et le Lion de Bartholdi n’est jamais terrassé par le sommeil, en éveil permanent, veilleur des morts au pays des vivants de l’aube au crépuscule.
Ne serait-il aussi symbole d’espoir de par cet aspect solaire représentant la chaleur et la vie, éminent paradoxe avec le sang froid des ténèbres funèbres devant lesquels il monte la garde ? Témoin de la fatalité et de la sérénité de l’espoir, spectateur de l’inéluctable énigme de la fin dernière ?
Qu’il pose sa patte sur la lance, même brisée, n’indique-t-il pas que c’est lui qui décide ? Qu’une arme détériorée est inutile si elle est hors d’usage ? Inutile … Inutile parce qu’il est bien trop tard ici pour espérer lutter contre la Mort. Tout est déjà joué. Arme intacte ou non, qu’importe puisqu’un arsenal entier serait vain.
Le combat est inégal ou plutôt il n’y a pas de combat possible. L’homme est vaincu d’avance. … »
Extrait de : Les Catacombes de Paris – Où, quand, comment, pourquoi ? - Ed. Romillat - 1993.
Extrait de : Petite et grande histoire des Catacombes de Paris. Ed. Augmentée. Presse de Valmy – 2014 - p. 147 à 151.