Extrait 1

… Avec précaution, Aurore avance dans la boue hostile du marais et lorsque ses pieds nus sont happés dans un bruit de succion par la vase où ils cloquent comme des ventouses, son corps se casse. Il se casse. Trébuche. Patauge. Jure. S’accroche aux osiers qui refusent la prise convulsive de ses doigts … quand retentit une rumeur terrifiante.

 

- Qui est là ?

 

Aucune réponse … mais la rumeur grandit, effrayante. Coassante … Banale et légitime contestation d’une tribu de grenouilles furibondes d’être dérangées dans leur aquatique domicile ! Le marécage hostile se rebelle contre l’intruse - pourtant familière. La diablesse pousse alors un ricanement strident dont l’écho sarcastique réveille le peuple du marais - à l’instant même où elle détache la barque - amarrée sur un champignon solitaire et géant … à grand-peine une dérive hasardeuse dans le margouillis belliqueux où surgit soudain une sarabande carnavalesque d’êtres difformes qui la précèdent en riant, de grimaces en entrechats … des nains, des velus, des bancroches … des cagneux, des bossus, des cyclopes …

 

Aurore brandit la perche avec colère et fauche les gnomes qui s’éparpillent en hurlant dans les roseaux.

 

Et tout là-haut, la lune éclaire la scène comme à la mi-temps du jour.

 

La voie est libre maintenant mais Aurore est seule. Souverainement seule à poursuivre sa quête, guerroyer contre les fantômes, à franchir le Styx de sa démence, sombrer dans le ventre de son enfer … et ce même enfer distrait son attention … la barque heurte la berge encombrée de bois morts et s’immobilise. Surprise, la jeune femme chancelle, fend l’air de ses bras décharnés, s’affole et sa raison déréglée découvre une nuée d’araignées hideuses et blanches qui, dans une tarentelle endiablée, entrelacent leurs pattes velues en un canevas animal … tandis que des bambous complices s’insèrent benoitement dans la trame légère. Elle, et son inexorable cauchemar, sont dorénavant englués dans une prison étrange sur une barque immobilisée.

 

Prise au piège, Aurore piétine et s’impatiente tandis qu’une chauve-souris placide l’observe du haut de son perchoir : le sommet des …

 

Extrait : Croisière de Haute-Lune in Le Vieil Homme et la Lune