Chapitre 11

 

La vie de la capitale grouille de jour comme de nuit. Peut-être encore plus la nuit. Il n’est que d’évoquer les Halles, les halles en champeaux1 pour sentir le frémissement du ventre de Paris, l’animation folle et nocturne des scènes picaresques racontées par Sébastien Mercier2 dans le périmètre de la Grande Boucherie.

Quant à nos Halles actuelles, elles sont construites sur le cimetière des Innocents. Leurs fondations ont permis de découvrir un premier cimetière mérovingien enfoui à 32 mètres de profondeur.

Les odeurs de la Grande Boucherie et du Trou pugnais rejoignent celles ammoniaquées du cimetière qui se mêlent aux relents des fromages, le tout renforcé par les effluves de poissons de mer et d’eau douce.

Les caves voûtées tiennent lieu de frigidaires. La nuit. La saleté repoussante des rues n’étonne plus personne quand on sait, comme l’écrit Nicolas-Edmée Restif (dit de la Bretonne), que « chacun jette de sa fenêtre tout ce qui .l’incommode. Il est même dangereux de marcher dans les rues à pied sans la protection d’une voiture … »

 

Les parisiens sont otages d’une agression cadavéreuse mais pas seulement. Ils subissent les éboulements causés par le labourage permanent du sol pour y enfouir les morts et les ordures mais aussi pour en extraire des profondeurs de la pierre et toujours de la pierre.

Des jardiniers sont avalés par le sol en le bêchant. Une charrette disparaît dans un gouffre (fontis). Des maisons s’écroulent. On ne compte pas les accidents de ce genre.

 

Pressé par l’urgence et la hantise d’une révolte, l’Etat opte pour la relégation des cimetières dans des carrières désaffectées, celles du Montsouris. Pourquoi celles-ci plutôt que d’autres ? Les motivations des thérapeutes de l’urgence sont d’ordre pratique certes et pourtant … Qui s’interroge sur le choix, sur la désignation du lieu où, des siècles plus tôt le Géant Isoré dévorait les néophytes dans la caverne du Mons Isoris ? Nous y reviendrons plus longuement.

La loi d’expulsion du cimetière des Innocents est enfin votée. L’idée du rejet au sein du nouveau site acceptée. Elle en revient au Lieutenant Général de Police M. Lenoir. L’organisation de l’ossuaire, pudiquement baptisé catacombes, est confiée au Préfet de la Seine, Mr. Le Comte Frochot et l’exécution du transfert incombe à Mr. Thiroux de Crosne, cependant que l’ingénieur Guillaumot doit l’assister selon l’arrêté du 9 novembre 1785.

L’urgence n’accélère pas pour autant la résolution du problème.

Cinq longues années s’écoulent avant que ne s’ébranle le premier charroi. Cinq longues années durant lesquelles Paris réorganise sa vie quotidienne en se distançant comme il peut de son encombrant voisinage. Cinq longues années où Paris tente de détourner la réalité laide et cruelle de la mort dont il ne reprendra pas le culte de si tôt. Cinq longues années qui mûrissent la Révolution de 1789.

Quel est donc ce Paris de 1780 qui s’étend des villages de Passy et Chaillot aux tours de Notre-Dame, essaimant ses quelques 274 clochers (et autant de cimetières) ?

 

Les halles en champeaux sont aménagées sur des terrains potagers.

Les nuits de Paris, Paris, Bachelin Ed. 1891 ; réédité en 1930